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Les fouilles de Sainte-Juliane

  AVANT PROPOS

 

   - Un jour, deux laboureurs préparaient un champ pour les semailles prochaines lorsque leur charrue fut tenue en échec par une grosse pierre. Pour dégager leur brabant, ils soulevèrent la grosse pierre qui bascula sur elle même et tomba dans le vide d'une excavation. Cette excavation était un sarcophage contenant un squelette de femme, et la pierre soulevée par la charrue n'était pas autre chose que le couvercle du sarcophage.

   - Le choc d'une charrue sur une grosse pierre est quelque chose de banal pour un cultivateur. Mais cette fois, le soc venait de s'enfoncer dans un sous-sol mystérieux et permettre la mise en lumière d’une histoire locale très ancienne et souvent tumultueuse.

   - Ceci se passait le 3 novembre 1950, dans la propriété de Monsieur Samuel MARC de Saint-Martin-des-buis, au lieu-dit Sainte-Juliane. Les deux laboureurs étaient Claude et Hubert ALBERT, fils du métayer de Saint-Martin-des-buis (originaire de Lacrouzette).

   - Monsieur Samuel MARC, alerté, reconnut le sarcophage et le squelette. Intrigué par cette découverte, il creusa autour du sarcophage, trouva trace d'un mur, et plus loin un second sarcophage contenant aussi un squelette de femme et celui d'un enfant, au dire d'un médecin.

 Ayant appris entre temps que le sous-sol appartenait à l’État et que rien ne pouvait se faire sans son consentement, Monsieur Samuel MARC eut conscience d'aller au devant de bien des difficultés et de soucis. Le samedi 11 novembre, il prit une décision énergique et, pour couper court à toute inquiétude, il dit à son métayer : « Semons notre blé ».

 Mais, quand un secret est livré, il ne s'arrête pas en chemin.

   - Les autorités consultées par Monsieur MARC firent pression sur lieu pour reprendre les fouilles. Des compétences s'offrirent à le guider et à l'aider. Monsieur MARC se laissa heureusement convaincre et les recherches furent méthodiquement entreprises à la date du 23 septembre 1952.

On a encore aucune certitude sur les restes humains ou les matériaux très divers rencontrés jusqu’ici, mais l'histoire connue et écrite à l'aide de documents sûrs, pourrait nous révéler sur Sainte-Juliane, un passé remontant très haut, et pour nous Roquecourbains du plus haut intérêt.

   - Voici l'état des recherches à la date du 28 octobre 1952, d'après le rapport adressé à Madame Elisabeth POULAIN et transmis à :  Mr SESTON, professeur d’histoire à la Sorbonne ; Paul DESCHAMP, directeur du Musée des Monuments français, Membre de l'Institut, premier médiéviste français au point de vue archéologique ;

Mr LAROUSSE, professeur d'Histoire à la Faculté de Toulouse.

                                                                        A  – OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

 

1° TOPOGRAPHIE.

    Le lieu dit Sainte-Juliane est constitué par un éperon rocheux dominant d'une part les méandres de l'Agout d'autre part, le col, par où passe la route allant de Burlats à Berlan. Il est orienté Ouest-Est. Une surélévation très accentuée marque le sommet vers l'Est, du côté précisément où il domine le col. Les ruines des murs d'une chapelle coiffent ce sommet. Cette même extrémité Est se termine par une plate-forme arrondie en contrebas de laquelle se trouvent des éboulis de murs. L'extrémité Ouest se termine également par une sorte de plate-forme affectant vaguement l’aspect d'un triangle et beaucoup moins caractéristique.

  En contrebas de cette plate-forme, l'éperon se relie en pente relativement douce au lieu dit Saint-Martin, langue de terre formant une presqu'île dans des méandres de l'Agout. La face Sud se termine en plateau aboutissant à la route de Roquecourbe à Lacrouzette. La face Nord, dominant l'Agout, comporte un abrupt qui a été accentué  par main d'homme. C'est un site convenant parfaitement à un oppidum gaulois et à un Castellum médiéval.

 

2° TOPONYMIE.

   Le nom de Sainte-Juliane apparaît pour la première fois en 1231 comme celui de l’Église paroissiale de Roquecourbe rattachée au Diocèse d'Albi. Il n'existe pas de Sainte-Juliane au Martyrologe et aucun culte local ne s'y rattache. Nous n'avons retrouvé, jusqu'ici, aucune indication antérieure ; il y a lieu, toutefois, de rechercher à quel lieu se rapporte un ''Castellum Juliani'' mentionné en 1039 au contrat de mariage de Guillemette, fille de Raymond-Bernard de Trencavel, vicomte d'Albi, avec Pierre Aton, vicomte de Bruniquel, et qui lui est constitué en dot, avec d'autres châteaux disséminés sur les possessions de la Vicomté d'Albi et de celles de Ermengarde de Carcassonne, mère de Guillemette. Il existe quatre Saint-Julien sur ce territoire mais qui ne paraissent pas avoir comporté de château. (cf. Chartes et Diplômes in Hre du Languedoc).

  Une tradition populaire veut que l'ancien Roquecourbe actuellement sur les bord de l'Agout se soit trouvé à l’emplacement de Sainte-Juliane (ce qui vérifierait une constante régionale : la position d'anciennes localités sur la hauteur et transférées en plaine après la croisade : Hautpoul – Mazamet ; Montagut – Lisle). Cette tradition veut que le nom de cet ancien village ait été ''Sacaradel'' ou la ''Bilo dé Diou'' (ville de Dieu) dénomination encore appliquée à Roquecourbe qui n'a jamais eu de sanctuaire ni de pèlerinage qui le justifie.

 

3°OBSERVATION SUR ROQUECOURBE.

  Le château de Roquecourbe, dont les ruines persistent sur les bords de l'Agout fut érigé par Guy de Monfort, comte de Castres, vers 1230. Tous les actes des comtes de Castres ne résidèrent pas à Castres même, ville mi-abbatiale (épiscopale en 1317), mi-consulaire (il est fait mention des bourgeois de Castres en 1160 dans un acte des Trencavel, fils de Bernard de Aton, confirmant des privilèges ''autrefois accordés'' par ce dernier aux bourgeois de Castres. Bernard Aton étant mort en 1130, il faut donc admettre des bourgeois de Castres avant cette date).

  Les Trencavels, eux, avaient résidé principalement à Burlats, et aussi à Berlan, Castres ne doit donc jamais être considérée comme une sorte de capitale du Castrais seigneurial, et ses intérêts ne pas être confondus avec ceux des comtes.

                                           B – RÉSULTAT  DES  FOUILLES

 

  Les fouilles de Sainte-Juliane, entreprises le 23 septembre 1952, ont, à la date du 25 octobre 1952, révélé ce qui suit :

  

A ° SOL ET RUINES.

   La totalité de la surface du sommet de l'éperon est recouverte d'une couche de terre cendreuse, jusqu'à saturation, mêlée de suie, d'une épaisseur moyenne de 30 centimètres. Au-dessous, on trouve des éboulis de murs, grosses pierres de quartz, mêlées de mortier et d'une grande quantité d'ossements humains provenant d'individus de tous âges et de tous sexes.

  Un squelette d’homme a été retrouvé en entier (tout au moins les gros os, le crâne et les vertèbres), dans la position d'un homme couché à plat ventre, le côté gauche de la tête contre le sol, bras et jambes écartés, écrasé et main tenu en place par les éboulis. L'extrême friabilité des os due à la soude dont la terre est saturée, n'a pas permis leur conservation. Un énorme morceau de charbon de bois, semble le vestige d'une poutre calcinée.

  Au-dessous encore de ces destructions, à une profondeur variant de 30 cm à 50 cm, on a retrouvé les fondations de fortes murailles d'un appareil grossier de quartz et de schiste (le quartz domine). On a ainsi dégagé, à une quinzaine de mètres des murs de la chapelle, un ouvrage carré contre lesquel un autre mur vient buter en oblique, en laissant l’espace d'un petit empierrage du sol. On peut penser à une sorte de redoute avec entrée en chicane. Contre le mur Nord de cet ouvrage, un mur beaucoup plus étroit (0,50 m contre 1,25 m) enserre trois sarcophages sur lesquels nous reviendrons, semblant constituer une sorte de caveau.

  Également, contre le mur Nord, un puisard a livré de nombreux tessons. D'autre part, il a été procédé à des sondages le long de la chapelle actuelle et dans son sol même. Ils ont donné les résultats suivants quant à l'architecture.

  1°- Sous les fondations peu profondes et en schiste de la chapelle actuelle, existent, sur la moitié de sa longueur, des fondations en quartz, analogues aux murs de fortifications présumées. Comme elles sont en saillie par rapport aux murs actuels, formant de faibles redans et laissant présumer : soit que l'édifice actuel, soit qu'il y était perpendiculaire.

  2°- SOLS. Sous 0,30 m de terre, on a retrouvé un premier sol dallé sur le pourtour, ailleurs en petites briques, qui paraît être celui de la chapelle actuelle. Sous une épaisseur de 0,30 m de terre et de débris, on a retrouvé un second sol, reposant lui même sur 0,15 m de terre pierreuse, surmontant le rocher. Sous la coupe séparant le 1er et le 2e sol, on a trouvé le seul fragment architectonique restitué jusqu'ici, sorte de palmette très cruciforme à extrémités grossièrement fleuronnées.

  3°- CHAPELLE ACTUELLE. Cette chapelle qui s'est surtout dégradée au cours des cinquante dernières années, a été consacrée au culte, jusqu'à la fin du XVII° siècle. L'appareil ne peut être daté des XII° et XIII° siècles ; en plaques de schiste, il comporte quelques blocs de quartz et de fragments très caractérisés de couvercles de sarcophages de grès, dont nous parlerons ultérieurement.

 

B  CIMETIÈRES. Nous avons trois types de sépultures.

1°- Situées sous les fondations des murs des fortifications présumées, deux sépultures à incinération comportant : (I) Ossements calcinés. (II) Fragments de poteries grises atypiques, enduits sur leurs faces internes de cendres grasses. (III) Dans l'une d'entre elles, ce qui  semble être des fragments de boucle et de gros fragments métalliques qui pourraient provenir d'un fourreau d'épée ayant subi un commencement de torsion. On a retrouvé également un morceau de tissus calciné, mais à trame apparente.

2°- Le long du mur Sud de la chapelle actuelle et sous la chapelle elle-même, creusées à même le rocher, des cuves à taille humaine, où l'on a retrouvé : (I) Des ossements en très mauvais état. (II) De longs clous. (III) Dans l'une des tombes, une poterie d'argile fine, entière, mais non intacte, d'un type que l'on rencontre à partir de l'époque mérovingienne, genre ''verseuse'' mais de facture soignée. Ce vase était placé aux pieds du mort, dont restaient  les tibias.

3°- Sur le pourtour de la redoute présumée, six sarcophages entiers (en plus, trois réduits en morceaux). Trois d'entre eux étaient ensevelis à même le sol, trois autres entassés dans le petit mur décrit plus haut. La forme de ces sarcophages paraît marquer une évolution. Alors que deux d'entre eux forment un trapèze rectangle (2 angles droits, 1 angle aigu, 1 angle obtus) les quatre autres sont nettement anthropoïdes, surtout les trois sarcophages placés dans le caveau présumé. Ceux-ci sont d'ailleurs de travail plus soigné. Les couvercles sont à quatre pans, débordant largement la cuve. Un septième sarcophage tout petit, destiné, semble-t-il à un enfant, et dont le couvercle manque, a été trouvé à l'intérieur de la redoute présumée. Tous les sarcophages intacts contenaient des squelettes en parfait état, certains intacts jusqu'aux plus petits os, et parfaitement en place. Aucune trace de bijoux ni de mobilier quelconque. Tous ces squelettes étaient ceux de femmes ; à l'un d'eux étaient joints les restes d'un enfant de sept ou huit ans.

C  MOBILIER ET TESSONS. Très pauvres. Nous trouvons :

 (I) - CÉRAMIQUES. Un peu partout, dans les décombres, multiples fragments atypiques, provenant de poteries faites soit d'argile, soit d'une lourde terre noirâtre, peut être obtenue avec la pulvérisation du schiste local. La seule datation approximative possible, peut être faite à partir des anses, d'un type que l'on retrouve dans tout le haut du Moyen-Age. Dans le puisard, toutefois, les tessons sont beaucoup plus caractéristiques, becs de verseuses, rebords, grande jarre basse en morceaux mais presque entière, l'étude en sera possible. Enfin la poterie trouvée dans une tombe du 2e type d'écrite plus haut.

  Une anse trouvée dans le puisard, porte un graphite grossier dessinant une croix grecque dans un écusson sommaire. Les extrémités de la croix, sont griffées de lignes transversales, comme si l'on voulait la fleuronner, ou la potenter.

 (II) - Le seul bijou retrouvé est un anneau en laiton, dans une tombe du 2e type placée sous la chapelle.

 (III) - Une plaque de schiste, trouvée presque à fleur de terre, porte un graphite représentant une croix boulée, qui peut être une grossière esquisse d'une croix de Toulouse, comme sur l'anse d'argile.

                                                                         CONCLUSIONS PROVISOIRES 

 

  Il semble dans l'état actuel des recherches que nous nous trouvions en présence de quatre couches :

1°- Une couche celtique attestée par les deux sépultures à incinération, qui ne sauraient être postérieures au IIIe siècle, et qui justifient la recherche sous la chapelle, des vestiges de possibles sanctuaires de hauteur païens.

2°- Une couche caractérisée par les sépultures à cuves. Elles ne sauraient être antérieures au VIe siècle, étant donné le type de vases trouvés dans les tombes, mais pas de beaucoup postérieures, car la présence de vases atteste la survivance d'une coutume païenne. De plus, ce cimetière étant placé, non seulement sous la chapelle actuelle, mais sous l'édifice antérieur, il ne peut guère se situer qu'entre le VIe (vases) et le IXe siècles (type anthropoïde des sarcophages contemporains de murs de même types eux-mêmes que les fondations de la première chapelle).

3°- Une couche que l'on daterai du IXe et XIIe siècle représentée : a) par les sarcophages anthropoïdes que l'évolution de la forme permet d'échelonner sur une assez longue période ; b) par des murs : I) - Fortifications présumées de la première chapelle. II) - Cette couche étant immédiatement accessible sous l'épaisseur de cendres et de décombres décrite plus haut, il semble que la civilisation à laquelle elle correspond ait dû sombrer dans une vaste destruction, comportant massacres (et non exécution car les ossements sont dispersés) et incendies. On doit lui rattacher le puisard accolé au mur et les tessons qui y furent retrouvés, notamment le tesson de la croix de Toulouse.

4°- La couche actuelle représentée uniquement par les ruines de la chapelle, qu'on peut considérer comme celle de 1231, car elle n'a pas été détruite, mais réemployée par les huguenots pendant les guerres de religions.

 Seule pour l'instant le 3e couche donne lieu à des conclusions (d'ailleurs faciles à réviser). 

 Il semble que nous ayons là, un établissement religieux assorti d'un cimetière. On n'en peut dater les débuts très postérieurement au IXe siècle, en raison de la forme imparfaitement anthropoïde de certains sarcophages. Cet établissement a été accompagné d'un ouvrage militaire bien à sa place dans cet endroit. On peut en effet surveiller qui va de Burlats à Berlan, les deux résidences des Vicomtes de Béziers et d'Albi, et notamment le col et les cinq gués sur l'Agout par lesquels passe cette route. L'épaisseur et la forme des murs dégagés confirment cette hypothèse. La chapelle est attestée par les fondations de quartz situées sous la chapelle actuelle et décrite plus haut et par le sol n°2 de la chapelle.

  Quant aux sarcophages, ils présentent le problème le plus intéressant, avec cette double singularité de ne contenir que des squelettes de femmes, et de ne comporter ni mobilier, ni symbole d'aucune sorte. Il est peut être prématuré de conclure, étant donné que l'on ne possède pour le moment que six squelettes (auxquels il faut adjoindre pour mémoire un septième trouvé il y a une cinquantaine d'année), mais on peut supposer un cimetière de nonnes, hypothèse à laquelle la présence d'un enfant ne fait pas obstacle, si l'on tient compte des veuves entrant en religion avec leurs enfants, et des fillettes ''données'' aux couvents. Mais il semble que l'on retrouverait alors, surtout dans les sépultures si bien conservées, des fragments métalliques, anneaux, croix pectorales, et des symboles chrétiens. Si nous considérons que Pierre de Vaux-Cernay reproche à Raymond VI de tolérer les cimetières particuliers aux parfaits et d'avoir fait entrer une de ses femmes dans un couvent hérétique (P.V.C.40), il serait possible de supposer ici un cimetière cathare. Si celle identification se vérifiait, elle aurait l'avantage de permettre celle des sarcophages identiques trouvés dans la région (à Rivière, par exemple) et demeurée problématique jusqu'ici.

  Viennent encore étayer l'hypothèse cathare, les deux graffitis croix de Toulouse et peut être la palmette cruciforme (la croix de Toulouse servait de ralliement aux Cathares).

  D'autres part, puisque la chapelle actuelle était érigée en 1231, il faudrait situer la date de destruction entre 1209 (reddition de Castres et conquête des Castrais) et 1231. Plutôt que vers la date de 1209 ou après la surprise de la prise de Carcassonne, les croisés ne firent guère jusqu'à Albi qu'une promenade militaire, je pencherais vers une destruction au cours d'une des campagnes des années suivantes ou Simon de Montfort, eut à reconquérir par les armes un pays qui se soulevait dès qu'il enlevait ses troupes (probablement campagne de 1210, plutôt que celle de 1211 qui porta surtout  sur la vallée du Tarn (siège et sac de Lavaur).

  On peut donc supposer :

  1° - Sanctuaire de hauteur païen accompagné d'un cimetière. Ce sanctuaire serait à chercher sous l'abside, non encore fouillée de la chapelle, et beaucoup plus petit que celle-ci, puisque les sondages actuels ne le rencontrent pas. (Noter la dénomination de Saint-Martin donné à la presqu'île qui forme avec Sainte-Juliane une unité graphique, et qui ''couvre'' en général un vieux lieu cultuel).

 

2°- Établissement du haut moyen âge (Ve, XIe siècle) et peut être un sanctuaire (à rechercher au dessus du sanctuaire païen) comportant certainement un cimetière.

 

3°- Vraisemblablement sans solution de continuité, établissement du IXe siècle, comportant un sanctuaire plus grand (murs et sols persistants), un cimetière à sépultures soignées (il fallait aller chercher le grès à plus de 10 kilomètres environ), des fortifications. Établissement détruit au cours de la croisade et reporté à Roquecourbe, sauf en ce qui concerne l'église paroissiale, reconstruite au même emplacement.

 Cet établissement serait passé au catharisme à une date à déterminer. Probablement assez haute s'il s'avère que le type des sarcophages se rattache bien à l'hérésie. Si l'on se rappelle que le premier procès fait au pseudos manichéens est le procès d'Orléans de 1022, où fut impliqué le confesseur de la Reine Constance d'Arles, si l'on constate le succès des henriciens du Languedoc, la complaisance du Conte Alphonse de Toulouse à leur égard (cf. lettre du Pape Eugène III) dans la première moitié du XIIe siècle (prédication de Saint-Bernard en 1147) on est très tenté de penser que le manichéisme a persisté en l'état latent en Languedoc, avec des résurgences plus ou moins sporadiques. Une confirmation archéologique de ces hypothèses serait évidement du plus haut intérêt.

 

4°- Destruction du site par la croisade. Les traces de destruction et de massacre sont évidentes. Il n'y a pas eu de construction postérieur, si l'on excepte le sanctuaire reconstruit avec des matériaux provenant de la destruction : couvercles de sarcophages. Un compte administratif de 1577 mentionne que la tour du pont de Castres fut érigée avec ''la pierre apportée de Sainte-Juliane''. Il semble donc qu'à la fin du XVe siècle il y eut encore des ruines qui pussent servir de carrière, car le schiste actuel ne pouvait rendre cet office. Je propose la date de 1210. La campagne de 1209 ne comporte pas de destruction semble-t-il, puisque le pays se soumis, en 1244, le jeune Trencavel reprit sans coup férir, sauf à Lombers, la terre de ses ancêtres. Et le roi Louis VIII ne fit en 1226 qu'une promenade militaire. Si l'on excepte la longue et dure campagne de 1210-1211, les Monfort furent de paisibles possesseurs Castrais. C'est donc à cette campagne qu'il semble logique de rapporter une aussi sauvage destruction.

En résumé, il paraît probable que nous avons à Sainte-Juliane :

1°- Un établissement celtique païen, cimetière sûrement, sanctuaire de hauteur, sans doute, ce dernier étant à rechercher à l'emplacement ou aux environs de notre énigmatique cube de maçonnerie.

2°- Un établissement du haut Moyen- Age, sans doute très modeste, puisqu'il n'a laissé d'autres traces que ses sépultures, peut être encore païen, peut être wisigothique (?) et dont la recherche de l'habitat, peut nous livrer d'autres vestiges.

3°- A parti des VIIIe et IXe siècles, un établissement plus important comportant un sanctuaire, un ouvrage militaire (le site était très indiqué pour l'un comme pour l'autre), et sans doute deux cimetières (les tombes en pierres bâties, non encore fouillées étant peut être des tombes ''civiles'') les sarcophages monolithes où les corps sont exclusivement féminins, appartenant à une communauté religieuse, ermitage ou autre... La présence d'un enfant dans une des tombes ne fait pas d'obstacle, car il peut s’agir, soit d'un enfant ''donné'', soit d'un enfant entré en religion avec sa mère. Je crois utile de discriminer les deux types de tombes, car il paraît improbable que l'on ait édifié des fortifications pour protéger un ermitage de femmes ; d'ailleurs, les ossements provenant du massacre  sont de tous âges et de tous sexes. La présence des signes de catharisme peut faire penser à une communauté de ''Parfaites'' comme à un couvent quelconque contaminé d'hérésie, comme il était fréquent qu'ils fussent à cette époque, dans ce pays.

 Nous nous trouverions donc en présence de la seule destruction de la Croisade connue à ce jour, qui n'ait pas été reconstruite.

Le fait s'explique par la construction de Roquecourbe dans la plaine. Ces reconstructions en plaine d'établissements de hauteur détruits par la croisade ne sont pas exceptionnels : c'est le cas de Hautpoul-Mazamet, de Montégut-Lilli. Mais Hautpoul et Montégut furent blessés à mort, mais non anéantis et continuèrent de vivre au ralenti concurremment aux bourgades neuves et florissantes qui les remplacèrent. Ici, la destruction fut radicale et non suivie d'une reconstruction sur les lieux mêmes comme dans la vallée du Tarn, à Laguépie ou à Saint-Marcel. Il y aurai lieu de reconsidérer l'opinion qui veut que le Castrais ait moins souffert de la croisade que les pays de la vallée du Tarn   (cf De Lacger : L'Albigeois pendant la crise de l'Albigéisme, dans la revue d'histoire ecclésiastique de l'université de Louvain), et à expliquer l'extraordinaire vivacité des souvenirs populaires de la croisade dans les montagnes du Castrais (ou, comme dans l'Aude on traite communément ''d'Amauri'' qui l'on veut qualifier de sot et méchant).

Archéologiquement, cette absence de reconstruction, l'importance des vestiges déjà retrouvés, après quelques semaines de fouille, nous laissent espérer qu'une plus large prospection nous livrerait, si non intact, du moins sans addition, un échantillon de la civilisation rurale occitane avant la croisade.

                                                                   RAPPORT SUR LES FOUILLES  (ANNEE 1954)

                                                                          par madame Elisabeth POULAIN

   La fouille de cette année a porté uniquement sur la couche protohistorique, au niveau du rocher, où nous avons pratiqué des sondages à intervalles réguliers, le long de la face N.NE de l'oppidum, et dégagé environ la moitié de de la face O., sur une longueur de 25 mètres environ, une largeur de 15 mètres, et une profondeur variant de 0,50 à 2 mètres.

 En effet, la 1re conclusion à tirer, tant des sondages, que des surfaces entièrement dégagées est celle ci :

 L'établissement protohistorique, et peut-être ceux qui lui ont succédé, occupaient un emplacement dont la configuration était totalement différente de la configuration actuelle. Le fait que le rocher est partout travaillé de main d'homme, montre que son établissement était bien à son niveau. Or, si au sommet de la colline, la terre arable ne couvre pas le rocher d'une épaisseur supérieure à 0,50 – 0,60 mètres, la pente du rocher se révèle beaucoup plus rapide que celle de la colline actuelle, et à 30 mètres du sommet, la hauteur de la terre rapportée s'élève jusqu'à dépasser 2 mètres.

 Sur la face N.N.E. Les sondages pratiqués, ont révélé que l'abrupt actuel avance de 2 à 5 mètres (constitué de terre arable) sur l'abrupt ancien, taillé en grande partie de main d'homme dans le rocher. On peu donc considérer que la configuration primitive de Sainte-Juliane était celle d'un piton rocheux, de pente très raide et d'accès difficile, au moins par les faces que nous avons dégagées et sondées.

 Quant aux ouvrages découverts ils sont constituées par :

 1° - Huit gradins d'une longueur de 16 mètres, et d'une profondeur de 12 mètres que les sondages de la dernière avaient indiqués, et que nous avons complètement dégagés. Ils forment un ensemble bien délimité s'arrêtant net à ses extrémités. Il est difficile d'y voir un escalier, la hauteur des gradins (0,60 mètres environ) les rendant malaisément franchissables. On peut donc leur supposer deux destinations : celle d'un podium de temple (ou plus vaguement le sacrarium), ou celle d'une sorte d'amphithéâtre. Dans cette hypothèse, il pourrait contenir à peu près 150 personnes assises.

 2° - En haut des gradins, à 1,50 mètre du dernier d'entre-eux, se trouve un ensemble de dix trous (ce nombre n'est pas limitatif) disposés de façon à former un rectangle approximatif. Ces trous, d'un diamètre moyen de 1,40 à 1,80 mètre. Deux d'entre eux présentent, taillés dans la paroi, une sorte de siège arrondi placé de telle hauteur, qu'une personne assise peut reposer les pieds au fond du trou.

 Deux autres se prolongent par une sorte de gouttière en berceau. Dans chacune des gouttières, se trouvaient les débris d'un squelette, en assez mauvais état, mais pas assez pour déterminer une orientation : O.E.

 La rangée des trous les plus proches des gradins, présente en outre une petite cuve accolée à l'une des grandes, et deux trous plus petits.

 Toutes ces cuves sont creusées très soigneusement, taillées par petits éclats. Nous avons criblé les contenus sans trouver le moindre vestige ni d'objet, ni d'ossement. Elles n'ont servi, ni de foyer, ni pour l'incinération, car on y trouve nulle trace de cendre ou de combustion quelconque. Elle n'ont pu servir de silo, car elles ne comportent pas d’écoulement d’eau, et la moindre averse y laisse des flaques durables.

 Nous avons cherché des points de comparaison à ces ouvrages singuliers. Nous n'en avons trouvé aucun pour les gradins. En ce qui concerne les cuves, M. Michel Labrousse a bien voulu nous indiquer qu'il en avait vu de semblables à l'oppidum celtique du Puy du Tour (Corrèze) ; d'autres part il semble possible, sans parler d'identité, mais d'analogie, de les rapprocher des ''henges'' du sud de l'Angleterre. Ces ''henges'', rappelons le, sont constitués par des talus circulaires, au milieu desquels se trouve un cercle de pierres (cromlech) entourant un cercle de poutres de bois, qui entoure lui-même un cercle de trous. Ces ensembles sont plus ou moins complexes. Stonehenge, dans la plaine de Saisbury, est composé d'une rangée de trous, à l'intérieur de quatre cercles de pierre.

  Quant à la destination des cuves, le problème n'en est pas encore résolu par les exemples Anglais, puisque certains trous en Angleterre, comportent des cendres humaines et d'autres n'en comportent pas. Il est difficile, dans ces conditions, de parler de sépulture proprement dites, mais on peut penser à des rites sacrificiels. Or, nous savons par le Scholiaste de Lucain, qu'on honorait Teutatès en noyant les victimes dans des cuves (Commenta Berneusca, Ed. Usener p.32,sq.) chez les celtes continentaux, alors qu'on honorait Taranis, en les brûlant dans un vaisseau de bois. Et l'identité de rites entre les continentaux et les insulaires est attesté par les légendes irlandaises, spécialement par les mythes de Samain, où les thèmes de l'eau et du feu, alternent ou s'associent.

 Nous pensons qu'on peut se demander, si nous ne retrouverons pas ce double thème dans les trous à incinération de certaines ''henges'' et dans les trous à sépulture à inhumation adjacentes que nous avons trouvés à Sainte-Juliane.

 Il n'est pas jusqu'aux deux trous de diamètres restreints, tout à fait propre à enchâsser des mâts, qu'on ne puisse rapprocher des rangées de poutres des ''henges''.

   Couche protohistorique : État de la question.

 Il n'est pas possible de conclure, même par hypothèse, sans recenser préalablement tout ce qui appartient à cette couche, et a été dégagé antérieurement.

 Nous énumérons donc tous les éléments qui doivent lui être rapportés :

 1° - Deux tombes à incinérations du type "en puits" comportant des cendres et des ossements humains, des fragments de vases funéraires, et dans l'une, une sorte de palette grossière, et enduite d'ocre rouge ; dans l'autre un fragment métallique que M. Michel Labrousse a identifié comme une serpette probablement rituelle (une autre serpette a été trouvé à même le rocher).

 2° - Une forge de petite dimension, révélée par des fragments assez importants de revêtement d'argile dont la face interne est vitrifiée, et par de nombreuses  scories de cuivre. Cette forge est du type de celles découvertes à Gergovie par M. J.J. Hatt.

 3° - Nous pensons encore attribuer à cette couche, étant donné leur position stratégique et leur identité avec le fragment retrouvé dans une tombe à incinération, de nombreux matériaux de démolition teints en ocre rouge : soit fragments de schiste, soit blocs de mortier, ceux-ci très profondément imprégnés d'une teinture pulvérulente qui tâche les doigts.

 4° - Probablement, d'après les stratigraphies, une cella, creusée dans le rocher, occupée en son centre par un bloc de maçonnerie dont le volume semble avoir été augmenté à des époques successives, et sous lequel sont insérés plusieurs squelettes.

 5° - Les tailles de l’abrupt nord.

 6° - L'ensemble constitué par des gradins et les cuves flanquées symétriquement de tombes à inhumation.

 La première conclusion à tirer de l'examen de ces divers éléments est que nous sommes en milieu celtique, peut être pas au point de vue ethnique, mais au point de vue civilisation, en effet :

 1° - Les tombes en puits sont de caractère celtique, contrairement aux tombes en tumuli qui sont aquitaniques.

 2° - La forge et l'abrupt peuvent être rapprochés de travaux similaire de Gergovie (rempart sud).

 3° - L'emploi de la couleur rouge est attestée dans les Celtes, (mais cela peut faire partie du ''fond commun'' à beaucoup de primitifs).

 4° - Les cuves, quelque interprétation qu'on propose, sont à rapprocher de cuves analogues trouvées en milieu celtique, que ce soit à Puy du Tour ou en Angleterre.

  Il nous reste enfin une observation de caractère négatif à faire : c'est l'absence de trace d'habitat proprement dit. Nous avons même trouvé aucun tesson au niveau du rocher, à l'exception de vases funéraires, ce qui nous porte à classer les tessons de poterie grise  trouvés autrefois à des emplacements dont le bouleversement avait opéré le mélange des strates, à cette époque postérieure, et à donner à la poterie grise des V° et VI° siècles dits '' Wisigothiques''.

 Il nous semble donc possible d'en inférer que nous nous trouvons sur un type d'établissement exclusivement religieux, l'habitat devant être, comme aux périodes postérieures, situé en plaine, au futur village de Saint-Martin. En effet, l'ensemble des éléments mis à jour semble porter ce caractère ; nous n'en exclurons même pas la forge, en pensant aux forges rituelles desservies par les prêtres forgerons qui transmettaient le feu, pendant la nuit de Samain (cf. légendes irlandaises), et la nature non utilitaire de cette forge expliquerait ses dimensions réduites et le fait qu'on n'y ait pas utilisé le fer malgré la datation tardive de l'établissement. Nous restons en effet attachés à cette datation tardive, en raison de l'absence de couche intermédiaire entre celle-ci et la couche paléo-chrétienne qui ne peut être antérieure au VI° siècle.

  L'absence de mobilier à peu près complète (à l'exception des tombes où la serpette est celtique), la pauvreté et le caractère ''naturel'' de l'établissement immobilier concorde avec tout ce que nous savons des cultes celtiques.

  Ceci n'exclut pas un système fortifié, qui, d'après les sondages effectués sur la face N. nous semble évident, et auquel il faudrait peut être rapporter les nombreuses murettes en pierre sèches qui jalonnent la colline et dont nous nous proposons d'établir le plan. Nulle-part, en effet, ces murettes ne servent de soutènement à la terre arable, qui semble s'être maintenue  au sommet de la colline par un relèvement rocheux par endroits, par l'implantation d'arbustes (principalement des buis) ailleurs.

  Cette disposition, qui est indubitablement celle de l'entité politico-religieuse du Moyen-Age (cf. rapport 1953) n'aurait rien d'anormal. Compte tenu de la différence considérable d'importance territoriale, politique et militaire, et du fait que Saint-Martin Sainte-Juliane est enserré dans une boucle de l'Agoût, et non entre deux rivières, c'est la disposition d'Alésia : « cujus collis radices duo duabus ex partbus fluminis sublebant ante oppidum planitiescirciter millia passum in longitudines parebat reliquüs in omnibus partibus colles, mediveri interjecti spatio pari altitunidis fastigio oppidum cingebant » (Caesar. De bello gallico).

  Nous n'avons pu poursuivre nos recherches en ce qui concerne les couches médiévales. Il aurait fallu étendre la fouille en surface, et non en profondeur, et l'ensemble gradins cuves amorcé, il nous a fallu le terminer. Tout ce que la fouille de cette année nous à permis d'observer, c'est que l'établissement médiéval ne devait pas être d'un niveau tellement supérieur à celui de l'établissement protohistorique.

 

Nous avons trouvé un fond de sarcophage juste au dessus de la cuve N° 1 (voir plan). Il faut en déduire :

 1° - Que les cuves ont été comblées avant l'installation des tombes à sarcophages (IX° siècle, peut être VII°, d'après M. Labrousse qui considère certains sarcophages comme très archaïques).

 2° - Qu'il y a néanmoins pas de place pour une couche intermédiaire importante entre ces deux states.

 3° - Étant donné la faible couche de terre entièrement arable qui recouvre le fond des sarcophages, il est à penser que ces sépultures étaient bien, comme cela semble évident pour les sarcophages enserrés dans une murette, enfouies dans des cryptes. Enfin quelques matériaux de démolition de grès, provenant de la chapelle du IX° siècle, avaient roulé jusqu’au fond bas des gradins, et donnent à penser que ceux-ci étaient restés découverts. Notons encore que le fond du sarcophage trouvé assez loin des autres du même type, donne à penser à une certaine étendue du cimetière auquel ils appartiennent, ou des bâtiments dans les cryptes desquels ils se trouvaient.

  La poursuite des recherches nous semble souhaitable sur deux points :

 Couche proto-historique. La fouille s'annonce assez pénible étant donné l'angle d'inclination du rocher, qui oblige à creuser à de grandes profondeurs (2 mètres à 2,50 mètres) avec le fastidieux travail de criblage de la terre enlevée, qui a livré peu de chose, mais nous a semblé néanmoins nécessaire, en raison même de la pauvreté des trouvailles mobilières, qui ne permet de rien négliger. Néanmoins, il est certain que si la poursuite des recherches devait confirmer ce que nous avons avancé, des similitudes sensibles avec les '' henges'' anglais, ces analogies auraient une portée historique assez considérable, pour que les travaux vaillent la peine d'être exécutés. Il serait d'autre part intéressant de rechercher si des cuves analogues n'ont pas été trouvées en France.

  La rusticité des établissements celtiques ayant pu faire qu'on ne leur ait pas accordé d'importance, car il serait étrange qu'elles existassent seulement presque aux deux extrémités du monde celte. Il serait avantageux d'avoir la liste de tous les chantiers de fouilles celtiques ouvert en ce moment.

En cliquant ici vous trouverez le carnet de fouille d'Alice Marc Manoël.

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